Je suis venu à l’escalade à la suite d’une ballade au pic d’Ansabère, en vallée d’Aspe. Alors que nous progressions vers le sommet, l’écho de plusieurs voix m’intrigua. Mais j’avais beau tourner la tête dans tous les sens, nulle trace d’autres randonneurs. Mon père me fit alors lever les yeux. Ils étaient là, points minuscules sur la grande aiguille séparée du pic par une profonde brèche, deux cents mètres au-dessus de sa base. Mon sang se glaça. Mon cœur palpita.

Les grimpeurs oublient trop vite le choc du non-initié devant une cordée qui se lance à l’assaut de la paroi. Ils ne voient pas les techniques bien rodées pour s’assurer le long de la voie ni ne peuvent juger de la difficulté des prises qui la jalonnent. Non, pour eux, cela dépasse l’entendement. Ils sont fous, dit-on. Alors le randonneur s’éloigne en secouant la tête. Ou les jalouse et continue à se retourner pour les admirer une dernière fois.

Lorsque j’ai commencé l’escalade, il y a deux ans, j’avais donc en tête d’imiter ces deux feux follets aperçus sur l’aiguille d’Ansabère. De ce sport, je ne connaissais que la grande voie et l’imaginais comme la seule forme d’escalade possible. Ce n’est qu’en m’inscrivant dans une salle d’escalade aux Pays-Bas que je découvris peu à peu la moulinette, le bloc puis la couenne et la grimpe en tête un an plus tard sur les rochers de Freyr en Belgique.

Enfin, après une demi-douzaine de sorties en falaise, me revint la raison de ma venue à l’escalade : monter, haut, loin, partir du bas et finir avec le ciel pour seul horizon, peu importe la difficulté. Summitingcomme dise les Anglais qui ont le chic pour inventer des mots dont le concept nous est évident sans que nous n’ayons jamais réussi à le formuler pour autant.

Je me sentais donc enfin prêt pour la grande voie et commençais à rechercher un site digne de mes aspirations. On pense souvent au Verdon ou aux Dolomites mais Riglos m’attira d’abord pour sa proximité, moi qui suis Pyrénéen de cœur et Landais par fatalité. La vue sur internet de ces devers démoniaques, entrelardés de galets saillants, me mit immédiatement l’eau à la bouche. Après tout, trois cent mètres de paroi vertical au pied d’un village, on fait difficilement mieux en Europe.

Le site identifié, ne restait qu’à me trouver un compagnon de cordée. Les mystères du référencement sur Google me conduisirent vers Graviteo et Bastien, un moniteur d’escalade, ancien pro’, ayant lancé sa boîte il y a cinq ans avec plusieurs associés. Ce Toulousain au doux accent dégage un calme olympique, une qualité qui s’avèrera précieuse pour supporter mes interminables relais et mes atermoiements entre deux bombés, lorsque le prochain piton me semble à des années lumières. Avec lui j’appris toutes les bases de la grande voie et comment il faut savoir parfois « se la coller » et accepter la chute pour sortir du crux.

Grâce à Bastien, j’aurais pu donc inscrire à mon palmarès encore vierge des voies comme Moskitos, el Puro, la face Nord du Cirque d’été sans oublier les 500 mètres de la Pena Rueba – mais qui je l’espère en appelleront d’autres telles que la Fiesta de los Biceps et Zulu Demente.

On a tout écrit sur Riglos et je laisse au lecteur qui ne s’y serai pas rendu la joie de découvrir ce site à la roche unique et qui a véritablement marqué l’histoire de la grimpe par le degré d’engagement de ses pionniers et les différents solos intégraux dont il fut l’objet.

Alors ? Qu’est-ce que ça fait d’être à son tour perché en équilibre à deux cent mètres du sol ? Le dévers, le gaz, les vautours, les pierres branlantes, « l’ambiance Riglos » comme dirait Bastien, m’ont laissé un sentiment qu’il serait vain de vouloir décrire dans ces quelques lignes. Je dirais seulement que l’on se sent à la fois conquérant et humble. Un coup tremblant sous l’excitation, un coup sous la peur. Le soulagement une fois de retour et immédiatement après la déception que tout déjà s’achève.

Avant de partir, nous avons un croisé un ancien qui présentait une exposition de photographies 3D grâce à une technique toute simple de superposition des images. On y trouvait des cimes de toutes les chaînes de montagne à travers le monde. Lui a grimpé cinquante ans, à une époque où ça ne rigolait pas. Je l’ai regardé, son visage sec et ses fins cheveux blancs peignés en arrière, ses prunelles comme des braises assoupis, et j’ai vu l’homme qui de la longue fréquentation des hauteurs s’est lui-même fait humble conquérant.

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